Le Docteur Mohamed Bajrafil, l’oncle et la loi du talion
Cher Monsieur l’Ambassadeur, bienvenue dans les arènes
Par Soilih Mohamed Soilihi Ancien Ambassadeur des Comores à l’ONU et aux États-Unis
J’ai connu le Professeur Mohamed Bajrafil, actuel Ambassadeur des Comores à l’UNESCO, dans des circonstances et dans le cadre d’activités socio-éducatives qui me permirent de noter, par-delà ses compétences intellectuelles et religieuses indéniables, une tendance à la suffisance, au narcissisme et à l’arrogance, dont je me disais qu’il pourrait corriger avec la sagesse qui s’acquiert en donnant du temps au temps. Je le savais aussi naturellement très lié et fort reconnaissant envers son oncle le Colonel Youssoufa Idjihadi, chef d’État-major de l’Armée nationale de Développement (AND), qui lui a assuré financièrement ses premières années d’études supérieures en France. Mais, je me disais qu’il saurait faire preuve de retenue, malgré le fait qu’un de ses proches me fit comprendre que sa nomination à l’UNESCO (poste techniquement à sa hauteur, mais dont il essaya de le dissuader d’accepter la nomination en raison du contexte politique autocratique) est le signe d’un engagement en vue d’ambitions politiques inavouées.

Malheureusement, ses propos qui font polémique, à juste titre, à l’occasion du nouvel an musulman, lui enlèvent cette part de « bénéfice du doute» devant le jugement que l’opinion publique lui conférait, en raison de ses connaissances religieuses et universitaires. Il a dit notamment:
Quand l’hécatombe va commencer, elle va tout ravager. Quand l’hécatombe va commencer, rapidement, elle va tout exterminer parce que nous n’avons même pas atteint le nombre de 10 personnes aux Comores. Quand nous allons commencer à nous couper les têtes, quand on coupera la tête de quelqu’un, celui qui me tuera mon oncle, le chef d’État-major de l’Armée, je ne vais pas l’épargner. Celui qui ouvrira une telle marmite ouvrira la boîte de Pandore. Les politiciens sont maudits surtout quand ils instrumentalisent la religion de Dieu à des fins politiques. Laissez tranquille la religion de Dieu et faites votre politique de mensonge si vous le voulez! N’utilisez pas Dieu dans le mensonge parce que quand le péché et la sanction de Dieu arrivent, ils sont durs. Ne croyez pas que je dis “Dieu a ditˮ à des fins personnelles, parce que Dieu punit.
Traduction du discours de Bajrafil prononcé en comorien
Mais, Monsieur l’Ambassadeur, qui instrumentalise l’Islam et «dit “Dieu a ditˮ à des fins personnelles »?
Désormais, non seulement il apparaît comme toute autre personne politiquement engagée, au service d’un pouvoir qui use et abuse de la rhétorique sur l’impératif de la paix civile comme garante de l’unité nationale et du développement socioéconomique, tout en piétinant allègrement et quotidiennement des droits humains constitutionnellement et judiciairement imprescriptibles.
Mais, en outre, il se proclame comme un défenseur d’un système clanique pratiquant une gouvernance erratique et menaçant de «guerre civile» toute forme de résistance osant se confronter aux détenteurs du pouvoir, notamment son oncle, en premier lieu. Par ailleurs, ce recours à la primauté du lien de sang et à la loi du talion sur toute autre considération dans son discours contredit malencontreusement toute prétention à un imamat se référant au Prophète Muhammad (la Paix et la Bénédiction de Dieu sur lui) qui, précisément et dès le premier instant, avait dû affronter publiquement son oncle paternel et son clan d’origine, pour avoir osé annoncer la Mission prophétique qui lui fut confiée, lui l’orphelin illettré.
Doit-on croire qu’il s’agirait de la part du Professeur-Imam-Diplomate-Prêcheur-Prédicateur-Moralisateur-Guerrier-Belliciste d’un dérapage qu’il saurait rectifier?
Ce qui est sûr, c’est qu’il devrait immédiatement présenter des excuses au peuple comorien, pour un minimum de compassion, envers les familles des victimes dans les camps militaires (et ailleurs) de la dictature en cours aux Comores. Des proches de victimes, depuis la mascarade sanglante référendaire du lundi 30 juillet 2018 effectuée par un putschiste multirécidiviste, s’en remettent au Divin et à l’Histoire, à défaut d’une Justice soucieuse de l’humain.
Chacune de ces diverses victimes était un oncle et a toujours un oncle envers lequel elle exprimerait sa reconnaissance autrement que par la vendetta. Il y a même eu Ahmed Mohamed Djaza, le défunt Président d’une Commission électorale nationale «indépendante» (CÉNI), définitivement disqualifié pour l’éternité, que le Chef d’état-major avait obligé à rendre publics des résultats électoraux à 104%, mais dont il ne se préoccupa point de la mort brutale par assassinat dans son bureau, dans des circonstances que la dictature ne voudra jamais élucider, et pour cause!
Et pour cause! Oui, et pour cause!
Ceci étant, en saisissant l’occasion du nouvel an hégirien pour exprimer mes vœux à tout éventuel lecteur et souhaiter la bienvenue au Docteur Mohamed Bajrafil dans la galaxie politico-diplomatique, avec les effets boomerang des déclarations intempestives, qu’il me soit permis de citer de mémoire ce propos de l’éminent professeur d’islamologie, Mohamed Arkoun, (une sommité mondiale qu’il a fort probablement croisée à la Sorbonne et ailleurs) rappelant souvent que «les intellectuels musulmans se (com)plaisent à côtoyer les allées du pouvoir d’État». Évidemment, cela s’assume. Les conséquences aussi…
Soilih Mohamed Soilihi, Ancien Ambassadeur des Comores à l’ONU et aux États-Unis
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