La Cour de sûreté de l’Etat est créée par l’article 1er de la loi n° 81-005 en date du 20 mars 1981 pour connaître, entre autres, des « crimes et délits politiques » suivant les dispositions de l’article 2 de ladite loi. En parfaite adéquation avec l’air de son temps, cette juridiction d’exception a servi d’instrument de répression contre les opposants au mercenariat, poursuivis pour atteinte à la sûreté de l’Etat et condamnés à de lourdes peines d’empoisonnement. Les voies politiques et syndicales dissidentes tombèrent sous le coup « des crimes et délits politiques ». Au moins deux citoyens comoriens torturés à mort dont les corps n’ont à ce jour restitués à leurs familles furent condamnés par contumace par cette Cour de sûreté de l’Etat. 1985.

Avocat au Barreau de Moroni
A la faveur du mouvement de démocratisation politique et de la pacification progressive de l’espace politique, les « crimes et délits politiques » tombent et emportent avec eux cette sinistre juridiction punitive sans appel.
Prenant fait et acte de ce mouvement, le peuple comorien décida par référendum de prohiber les juridictions d’exception : la Constitution du 20 octobre 1996 disposait en son article 48 que « toute juridiction pénale d’exception est prohibée ». Et, parce qu’elle n’est autre chose « qu’une juridiction pénale d’exception », la Cour de sûreté de l’Etat est, depuis, prohibée, donc, abolie de plein droit !
Sauf imprudence de notre part, aucun texte n’a rétabli cette juridiction pénale d’exception postérieurement à l’adoption par référendum de la Constitution du 20 octobre 1996 qui l’a dissoute. Si tel est le cas, résignons nous, enfin, à reconnaître que la Cour de sûreté de l’Etat souffre cruellement de base légale pour que nous puissions reconstruire une autre Justice, beaucoup plus protectrice des droits humains et des libertés publiques.
Mieux encore, l’article susvisé indique que la loi relative à l’organisation judiciaire doit nécessairement tenir compte du principe du « double degré de juridiction » lequel principe est également garanti par les Conventions internationales relatives aux droits humains dont le Pacte International des Droits civils et Politiques qui, en son article 14, point 5 dispose que : « Toute personne déclarée coupable d’une infraction a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi ».
Mais tel un fantôme hantant les esprits au plus profond du sommeil, la Cour de sûreté de l’Etat réputée « morte » se trouve, par moments, ressuscitée de ses cendres pour sévir suivant ses règles et procédures manifestement contraires au droit constitutionnel de tout condamné de faire appel contre la décision de condamnation prononcée contre lui.
L’on apprend que par un « AVIS » la Cour suprême, au sein de la quelle siège confusément en toutes matières le juge constitutionnel, aurait estimé que la Cour de sûreté de l’Etat pourrait continuer à « fonctionner en l’état ». Reste à se demander de quel état pourrait-il s’agir : 20 mars 1981, date de naissance de cette Cour ou 20 octobre 1996, date de son décès ?
Avec cet « Avis », le juge constitutionnel comorien aurait-t-il renoncé délibérément à son office de gardien et protecteur des droits fondamentaux de la personne humaine garantis la Constitution et les Conventions internationales ?
Aboubakar ABDOU MSA
Avocat au Barreau de Moroni

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